Le mouvement de la science
Le critique d’art, Alexandre Motulsky-Falardeau
Éric Dupont est né scientifique, mais il est devenu peintre. Ceci explique peut-être l’idée qui se cache derrière ses peintures. Une tentative de créer un nouveau mouvement, comme en science il faut inventer des théories. Ce mouvement, il l’appelle le dualisme.
Étymologiquement, le dualisme est un «système de croyance ou de pensée qui, dans un domaine déterminé, pose la coexistence de deux principes premiers, opposés et irréductibles». Et puis aussi, l’on peut dire qu’il se définit comme étant le «caractère de ce qui comporte deux éléments disjoints, opposés et complémentaires.»
Notons qu’il y a de plus le dualisme métaphysique en philosophie, ou encore celui ontologique et platonicien, gnostique et manichéen ; le dualisme pascalien et, évidemment, celui cartésien.
Si Descartes créa le dualisme du corps et de l’âme. Éric Dupont créera peut-être le dualisme de l’infiniment grand et de l’infiniment petit en peinture. C’est du moins le défi qu’il se lance.
L’art de ce peintre se rattache essentiellement au courant artistique connu sous le nom d’expressionisme abstrait. Ce courant, né aux États-Unis durant les années 1940, s’est répandu après la guerre à travers le monde grâce à de grands noms de l’art américain. On pense au grand Jackson Pollock, le plus connu de tous, et son action painting, mais aussi aux artistes Mark Rothko, Barnett Newman et Franz Kline pour ne nommer qu’eux.
Au Québec, les plus purs représentants de l’expressionisme abstrait se dénomment les automatistes, qui, à la suite de leur grand maître Paul-Émile Borduas et du manifeste Le refus global (1948) s’éclatèrent dans un art nouveau genre qui fit fureur non seulement ici mais qui fit connaître nos grands peintres hors de nos frontières. Lorsque l’on regarde les œuvres de Dupont, on ne peut s’empêcher de penser à la peinture de Jean-Paul Riopelle et de Marcelle Ferron.
C’est la même sensation de profondeur et de tourbillon qui nous saisit en regardant les toiles de cet artiste de Québec. Il y a le mouvement des particules élémentaires, les couleurs des galaxies, les pigments des cellules et de l’ADN et de l’ARN.
Et si nous regardons de plus près les toiles, il est possible de voir une précision dans le geste et dans l’exécution. Il faut se pencher plus attentivement sur l’analyse de ses toiles récentes en ayant une optique de scientifique et d’amateur d’art pour pouvoir en saisir toute la complexité qui est représentée. Car regarder les toiles d’Éric Dupont, c’est pénétrer dans un monde avec lequel l’on n’est pas nécessairement régulièrement en contact, c’est faire l’effort de s’instruire d’un langage technique, celui de la science, c’est garder ses nouvelles connaissances fraîchement acquises à l’esprit quand on regarde son travail. C’est un exercice exigeant, mais ô combien satisfaisant, parce qu’il donne accès à une nouvelle perspective.
Et même s’il est facile de faire le parallèle avec d’autres courants de peinture, cet exercice s’avère nécessaire pour celui qui désire mieux comprendre son œuvre.
C’est en se posant des questions qu’on arrive à former notre jugement. Il ne sert à rien de crier au génie toutes les fois qu’une production artistique se manifeste. Le génie est souvent l’expression d’une maladie et d’un trouble de l’âme. Éric Dupont est loin des troubles mentaux, très loin de la sempiternelle idée que l’on se fait des artistes, tourmentés et agonisants. Beaucoup d’artistes contemporains, pour qui la souffrance est synonyme de motivation.
D’ailleurs, il ne cherche pas à raconter des émotions ni à en transmettre dans ses peintures. Il y a, certes, un message, un désir de transmettre l’amour de la science, sa passion première. Mais désir aussi de proposer un courant, un style. Au même titre que ceux qui l’ont précédé. Que voulaient les automatistes et dans le même sens qu’eux, les expressionnistes abstraits ? Une révolution ni plus ni moins par rapport à l’art des années antérieures. Deux points majeurs attirent notre attention, qui se retrouvent dans la démarche de Dupont. Tout d’abord une nouvelle façon d’aborder la toile qui devient le support du geste de l’artiste, des textures et de la matière de la peinture qui est souvent travaillée à même la surface. D’autre part, l’état d’esprit dans lequel se plonge l’artiste, qui se réclame des nouveaux courants de pensée tels le surréalisme. Le geste devient ici l’outil de l’inconscient. Chez Dupont, à l’évidence, la volonté de représentation de l’univers dans toute sa complexité, que ce soit à l’échelle cosmique ou microscopique, se heurte à l’abstraction inhérente des mondes explorés. L’abstraction devient alors, non pas une volonté de s’éloigner du réel, mais au contraire, une pulsion vers le réel mais sans la référence figurative. Ce seront des notions abstraites qui seront évoquées dans leur complexité, telles le rythme, les fréquences, les corps s’interpénétrant.
Le désir d’expression passe par une invention qui articule les formes et les couleurs sans référence évidente. C’est plutôt l’émotion ressentie qui donne un sens à l’aventure artistique. Penchons-nous maintenant sur ce qui se passe sur la toile. De loin, souvent, on peut ressentir comme une sensation de tachisme, de pointillisme même. La surface vibre dans sa répétition de motifs organiques qui s’entrecroisent. On ne sent pas nécessairement la limite physique de la toile, comme si le motif pouvait se reproduire à l’infini. Les formes se superposent comme en constante révolution, elles tournoient, elles semblent en mouvement.
Ce dynamisme inhérent au discours est la constante de ses œuvres actuelles. La vibration des couleurs primaires est accentuée par l’épaisseur de la matière qui est souvent raclée sur la toile. Les teintes mélangées directement sur le support enveloppent un fond parfois blanc qui aspire les formes. La référence avec l’espace ou le milieu vivant se retrouve dans une composition qui ramène la plupart du temps les éléments de la composition vers un centre. Ainsi, c’est une énergie centrale qui attire les formes dans l’espace, donnant à la fois une impression de flottement désorganisé et de cohérence. L’enchevêtrement des dynamiques se prête bien au propos de Dupont. Le flottement des particules dans l’espace ou dans la matière organique peut être évoquée ici par des oscillations, des projections, bref, toutes les combinaisons de motifs qui font référence au mouvement et à la vie.