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Au carrefour de l’art et de la science

« L’univers est plus « abstrait » qu’on ne le croit et les peintres » abstraits » le sont moins qu’on ne le dit. »

Jean Guichard-Meili, 1960

 

À l’occasion d’une conférence prononcée à l’automne 2011 à l’Université Laval sur le thème « Science, art et imagination », l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet rappelait que tout comme les scientifiques, les artistes sont passionnés par l’espace et ses mystères. Avec la présente exposition, le scientifique Éric Dupont inverse en quelque sorte la proposition. Au gré d’une démarche entreprise il y a une quinzaine d’années et suivant une nécessité instinctive à laquelle il n’a pas su résister, il en est venu à partager l’aventure de bien des artistes d’hier et d’aujourd’hui dans l’exploration de l’insaisissable.

Au fil de ses tableaux, on voit Éric Dupont se chercher et se trouver aussi bien dans le micro que dans la macro. Par-delà certaines dépendances ou filiations, sa production a le mérite de l’authenticité. Elle est à l’enseigne de la découverte d’une part de lui-même et d’une quête de ce qui nous échappe dans l’univers. Chaque tableau constitue en effet un territoire pictural qui demande qu’on s’y arrête, qu’on le regarde à distance et de plus près, et qu’au final on accepte de se perdre dans les mille méandres des pigments étalés sur la toile.

Cela dit, l’artiste ne saurait déterminer la manière dont ses œuvres seront lues ou interprétées. Après tout, chacun regarde l’univers à sa façon suivant son expérience singulière. Le peintre aura beau expliquer son intérêt pour l’infiniment grand ou l’infiniment petit, il reste que certains visiteurs se contenteront d’apprécier la somptuosité fragmentée de ses toiles. Ainsi ne serait-il pas étonnant que des visiteurs de l’exposition notent ici et là des similitudes ou parentés avec l’art d’un Jean-Paul Riopelle.

On se rappellera que dans les années 1950, Riopelle aura su créer de nouveaux espaces picturaux que des commentateurs de l’art contemporain associèrent parfois à de nouvelles façons d’explorer l’univers. Je pense entre autres à Jean Guichard-Meili qui, dans son ouvrage Regarder la peinture (1960), fit un rapprochement étonnant entre un tableau de Riopelle réalisé à la spatule et une photo aérienne de la campagne française. En marge de cette démonstration visuelle parlante à souhait, il ajoutait avec justesse qu’il n’existe pas un seul et unique système permettant de rendre compte du visible :

« Les prodigieux moyens d’investigation de la technique contemporaine », écrivait-il, « nous permettent maintenant de plonger dans les deux infinis, au cœur des mystères du monde ! Les photographies automatiquement prises par les fusées envoyées à des centaines de kilomètres dans le ciel (…) ne révèlent-elles pas un merveilleux visage de la réalité ? Et le télescope électronique, capable d’abolir des millions d’années-lumière, de nous faire contempler l’univers des galaxies ? À l’opposé, l’arbre est-il moins réel quand, grâce à la coupe micrographique de son bois, il se propose à nous dans l’architecture des cellules qui le composent ?  »

 

Plus loin dans son ouvrage, Guichard-Meili ajoutait des commentaires qui n’ont rien perdu de leur pertinence en regard des propositions picturales que nous soumet aujourd’hui Éric Dupont :


Livre virtuel: Dupont – À la découverte de l’infiniment grand et l’infiniment petit

> Consultez le livre virtuel 


« Qui peut se targuer avec certitude d’avoir inventé une forme, un rapport de couleurs totalement nouveaux ? C’est là surtout faire insuffisamment crédit à la nature, qui apparaît toujours plus riche à mesure qu’on parvient à la sonder plus avant. Les aspects qu’en révèlent, par exemple, les procédés d’exploration de la science, toujours plus perfectionnés, prennent, au niveau moléculaire ou atomique, un caractère tout à fait « abstrait » que les organisations de cellules végétales ou les formations de cristaux offraient déjà à la simple observation microscopique. Ainsi peut-il advenir parfois que l’artiste retrouve, au terme d’une recherche originale et difficile, telle structure existant déjà à son insu, au cœur d’une roche ou d’un métal rare, et à une tout autre échelle, invisible jusqu’à ce que le physicien l’ait isolée dans son laboratoire. Qu’en conclure, sinon – encore une fois – que la réalité est infiniment plus vaste que ne le croient aussi bien certains « réalistes » que certains « abstraits » et qu’il est bien des façons de l’appréhender ? »

 
Qu’il ait la tête dans les étoiles ou l’œil rivé sur son microscope, Éric Dupont nous invite donc à pénétrer dans son jardin secret, lequel se situe à une sorte de carrefour où se rencontrent l’art et la science. Pour un scientifique de sa trempe, c’est sans doute une opération à risque que de s’aventurer ainsi dans un tout autre monde mais cela correspond parfaitement à la curiosité insatiable qui l’anime à titre d’explorateur de ce qui nous dépasse et nous échappe dans les univers de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
John R. Porter